24 mai 2024

Journal des Entreprises : Novacarb lance sa deuxième étape de sa décarbonation

Filiale du groupe Humens, Novacarb, la soudière de Laneuveville-devant­Nancy, en Meurthe-et-Moselle, s'est engagée avec le groupe Suez dans le chantier d'une nouvelle chaudière, imaginée pour tourner définitivement la page du charbon. Après la biomasse, ce sont des combustibles solides de récupération (CSR), qui vont permettre à l'industriel de poursuivre sa décarbonation.

Pour Raymond Sinnah, le président du groupe Humens, dont la principale usine, Novacarb, est située à Laneuveville-devant-Nancy (Meurthe-et-­Moselle), sa société est entrée « dans une double logique : celle d'un sprint et celle d'un marathon ». Un sprint car pour le producteur de carbonate et de bicar­bonate de soude, pour des marchés tels que la phar­macie, l'hémodialyse, l'environnement ou encore la nutrition humaine,« il y a urgence pour la planète ». Son groupe a d'ailleurs réaffirmé sa volonté d'atteindre la neutralité carbone en 2035. « Mais les réflexions sur la transition énergétique de la soudière de Laneuveville ont été lancées il y a plus de 10 ans. Sur le projet Novasteam, les premières démarches ont été lancées il y a 7 ans », rappelle Raymond Sinnah.

LIVRER 60 TONNES DE VAPEUR PAR HEURE

Début avril, les équipes de Humens (CA : 250 M€; 400 salariés) ont posé, avec celles de Suez (CA : 8,8 Md€; 40 000 salariés), la première pierre d'un chantier qui marque une deuxième étape majeure dans la décar­bonation de la soudière de Laneuveville. Lancé en sep­tembre dernier, pour une livraison prévue « fin 2025, au pire début 2026 », d'après Yves Rannou, le vice-pré­sident de Suez en charge du recyclage pour le groupe, ce chantier verra sortir de terre une unité de produc­tion énergétique capable de livrer 60 tonnes de vapeur par heure à Novacarb, grâce à 140 000 tonnes par an de combustibles solides de récupération (CSR), soit des déchets provenant des bennes « tout-venant » des déchetteries du Grand Est et des déchets industriels.

Un projet baptisé Novasteam, qui sera exploité par Suez pendant« au minimum 25 ans », et qui va mobi­liser 130 millions d'euros de financement, dont 1,5 mil­lion d'euros amenés par la Région Grand Est et 27,6 millions d'euros par l'Ademe, l'Agence de la tran­sition énergétique. « C'est une subvention très importante pour un projet majeur, puisqu'il s'agit de la deuxième installation la plus importante de France, la première étant située à seulement quelques kilo­mètres, chez Solvay, à Dombasle», rappelle Jérôme Betton, le directeur régional de l'Ademe Grand Est.

« Le sujet, c'est le coût de l'énergie qui représente 80 % de nos coûts variables. Donc, si vous ne travaillez pas sur l'énergie, vous êtes morts." Raymond Sinnah, président du groupe Humens

140 000 TONNES DE DÉCHETS POUR FAIRE DU CSR

Outre les fonds publics, le projet va aussi bénéficier de 4 millions d'euros amenés par des certificats d'éco­nomie d'énergie. Le reste de l'investissement étant porté par le groupe Suez et ses partenaires financiers. « Dans le Grand Est, nous sommes l'acteur majeur de l'enfouissement, du traitement des déchets par élimination », détaille Morgan Moriceau, directeur du pro­jet Novasteam chez Suez, nullement inquiet par la perspective de trouver 140 000 tonnes de déchets pour en faire des CSR. Le périmètre retenu par les autori­sations, soit le Grand Est, pourra aussi inclure si besoin les régions limitrophes, soit l'Île-de-France et la Bourgogne-Franche-Comté.

« Aujourd'hui, ce sont des déchets que nous allons remonter dans la hiérarchie des modes de traitement. Hier, ils avaient plutôt vocation à être éliminés, parce qu'il n'existait pas de solution existante. En créant cet outil, nous allons pouvoir les valoriser énergiquement. Ce sont des déchets que nous gérons déjà aujourd'hui pour nos clients publics, nos clients privés. » Pour Yves Rannou, les CSR forment une ressource « durable, locale et qui se substitue aux énergies fossiles».

Actuellement enfouis pour environ 200 € par tonne, ces déchets seront donc conduits sur le site de Novasteam, où une équipe d'une quarantaine de per­sonnes sera chargée de les préparer pour en extraire de la matière valorisable. « Sur cette unité, nous avons choisi d'installer des robots de tri, pour affiner une dernière fois le tri avant le passage dans le four », détaille Morgan Moriceau. Brûlant à 1 200 °C dans une chaufferie affichant une puissance totale de 55 MW, les CSR vont permettre de porter l'eau du pro­cédé de Novacarb à 430 °C, pour fournir 60 tonnes de vapeur par heure, grâce à la combustion de 14 tonnes de déchets par heure. Avec un gain majeur : la réduc­tion de 70 000 tonnes des émissions de CO2 du site de Laneuveville, classé parmi les 50 sites les plus émet­teurs de CO de France.

« Nous sommes environ à 450 000 tonnes en scope 1 », précise Anaïs Voy-Gillis, directrice de la stratégie et de la RSE du groupe Humens. Soit les émissions directes liées au fonctionnement de l'usine Novacarb. « En 2016, en additionnant les émissions du scope 3 », soit l'ensemble des émissions liées à la production de l'usine,« nous étions autour de 700 000 tonnes. Notre objectif pour 2035, c'est d'arriver à 300 000 tonnes d'émission de CO2 ».

DÉJÀ UNE PREMIÈRE ÉTAPE : NOVAWOOD

À l'été 2023, Novacarb a mis en service le premier étage de son projet visant à sortir du charbon : une chaudière biomasse d'une puissance de 66,5 MW, équivalente à 2 500 chaudières domestiques, baptisé Novawood. Fruit de dix ans de travaux préparatoires et finalement validés par l'État le 24 décembre 2019, cet outil industriel produit simultanément de l'énergie électrique et thermique, grâce à 135 000 tonnes de bois de démolition récupéré dans un rayon de 150 kilo­mètres ainsi que des traverses de chemin de fer. Novawood a nécessité un total de 87 millions d'euros d'investissements, répartis entre Engie Solutions (51 %), Novacarb (30%) et la Caisse des dépôts (19%).

« Au final, notre mix énergétique sera composé d'un tiers de CSR, d'un tiers de biomasse et d'un tiers de gaz », précise Anaïs Voy-Gillis. Pour la directrice RSE du groupe Humens, investir pour décarboner, c'est « s'éloigner de la volatilité des prix des énergies fos­siles, s'éloigner des risques liés aux prix de la tonne de CO2 et au final, cela soigne la compétitivité du site et sa pérennité ». Sans se féliciter des progrès accomplis, Anaïs Voy-Gillis et son équipe travaillent déjà « sur le tiers de gaz qui nous reste pour aller vers des alterna­tives moins carbonées ».

Mais en parallèle des efforts portant sur le mix éner­gétique de la soudière, la directrice de la RSE de Humens veut aussi travailler sur l'efficacité énergé­tique et l'optimisation des procédés. « C'est fastidieux, mais nécessaire pour tenir nos objectifs », assure Anaïs Voy-Gillis.« Chaque tonne de CO2 économisée est une petite victoire. » Pour le directeur du site Novacarb de Laneuveville, Marc Léonard, une des clés du succès réside dans l'électrification : « Il faudra aller chercher de l'électrification sur certains de nos procédés. Actuellement, les technologies ne sont pas encore complètement matures. Nous avons des chaudières gaz, est-ce que demain les chaudières électriques seront à même de nous offrir les mêmes possibilités, la même flexibilité ?»

UNE SOLUTION ÉCONOMIQUEMENT VIABLE

Autre piste, les réflexions menées sur le procédé de fabrication du bicarbonate de soude. « Le calcaire est important au titre de la matière première, mais il est également important au titre des émissions de C02 qui sont liées à notre process, pour la création du produit final », souligne Marc Léonard.« Est-ce que les fours à chaux que nous exploitons actuellement resteront dans cette disposition actuelle, avec du coke ? Est-ce que demain, il sera possible de trouver une alternative ? », interroge le directeur, qui estime qu'il faut « encore laisser les équipes de recherche progresser pour trou­ver la piste qui fait sens industriellement. Et surtout, il faut que la solution soit économiquement viable ».
Position évidemment partagée par le président du groupe, Raymond Sinnah : « Les fondamentaux, c'est que nous devons rester compétitifs. Et le sujet, c'est le coût de l'énergie qui représente 80 % de nos coûts variables. Donc, si vous ne travaillez pas sur l'énergie, vous êtes morts. Tout ce nouveau mix énergétique, c'est pour avoir une meilleure compétitivité sur la pro­duction de vapeur ».

REBÂTIR LA CHAÎNE DE VALEUR POUR DÉCARBONER

Plutôt que d'imposer des hausses à ses clients et d'aller au bras de fer, l'industriel préfère travailler avec eux pour rebâtir la chaîne de valeur des produits finaux dans lesquels le bicarbonate intervient. « Nous avons fait un événement RSE avec une cinquantaine de nos clients. Il y avait aussi des partenaires, fournisseurs, prestataires de services, de transport, de l'emballage et ensemble, nous avons réfléchi à une feuille de route commune sur la RSE. » Une démarche rendue possible car « nos clients sont parfaitement conscients que nous investissons massivement », assure Raymond Sinnah. « Mais eux, ils ont un bénéfice direct. Prenons un exemple : dans l'industrie du verre, quand vous faites 50 % de réduction de CO2 sur le carbonate, vous faites économiser à vos clients 20 % d'émission. Voilà le bénéfice. »

Produisant actuellement, à l'échelle du groupe, 350 000 tonnes de carbonate et 200 000 tonnes de bicarbonate dont 150 000 tonnes produites à Laneuveville, Humens ne cherche pas à augmenter sa capacité de production, mais veut rééquilibrer sa pro­duction en faveur du bicarbonate, produit à partir du carbonate et sur lequel il est possible de faire plus de valeur ajoutée.« L'idée, c'est d'aller au-delà du 50-50 », dévoile Raymond Sinnah, sans vouloir en dire plus, se sachant surveiller attentivement par la concurrence. Le président de Humens décline sa stratégie en trois piliers :« chercher plus de valeur sur le marché de spécialités », se concentrer sur« la diversification marché par application » et enfin, vendre sur d'autres terri­toires géographiques.

« Nous jouons sur les trois axes pour développer l'activité », insiste Raymond Sinnah, en évoquant par exemple les marchés de la pharmacie : « Notre bicar­bonate rentre dans les applications liées à l'hémodia­lyse. Vous souffrez de problèmes rénaux, concrètement, vous avez besoin du bicarbonate pour filtrer votre sang. C'est un marché mondial en croissance, lié aux problématiques de diabète, d'insuffisance rénale ». Le groupe vend actuellement ses produits aux États-Unis à travers son site de Singapour, qui est certifié « FDA Pharma ». Pour le président de Humens, « cer­tifier le site de Laneuveville FDA Pharma, c'est l'étape d'après. D'abord, nous devons réussir notre feuille de route sur la décarbonation. C'est 80 % de notre straté­gie, donc on y met les moyens ».

Jean-François Michel - Article issu du Journal des Entreprises | Mai 2024